
Moins
de neige, une eau plus rare et aléatoire, des rivières plus basses en
été : les nouvelles données du changement climatique obligent à repenser
la gestion de l’eau. L’Agence de l’eau Rhône Méditerranée & Corse
publie un rapport de synthèse des connaissances sur les impacts du
changement climatique sur l’eau dans le grand Sud-Est français et a
réuni un séminaire scientifique de 300 experts et gestionnaires de l’eau
et des rivières, des collectivités et de l’État. Région la plus
sensible de France au changement climatique, elle connaît déjà des
situations de pénuries d’eau sur 40 % de son territoire, d’où l’urgence
d’envisager des mesures d’adaptation ambitieuses.
Les impacts annoncés du changement climatique
– Selon les scientifiques, plusieurs faits marquants peuvent d’ores et
déjà être annoncés avec certitude. Une perte de durée d’enneigement de
moitié au sud des Alpes dès 2030, due à la conjonction de la diminution
des chutes de neige et une accélération de leur fonte. C’est à basses et
moyennes altitudes (1 200 à 1 800 mètres), dans toutes les Alpes, que
le manteau neigeux sera le plus dérangé. À plus long terme (2080), un
scénario pessimiste fait état d’une quasi disparition de la neige au
printemps sur toutes les Alpes à basses et moyennes altitudes. Le débit
des rivières en été chutera parce qu’il ne sera plus aussi bien soutenu
par la longue fonte des neiges et que les sols seront plus secs. En
2050, les affluents non méditerranéens du Rhône (Saône, Loue, Ognon…)
perdraient 20 à 50 % d’eau en été et en automne, et jusqu'à 75 % en été
pour l’Isère et la Durance. Les fleuves du Languedoc-Roussillon
pourraient perdre 30 à 80 % de débit en 2080. La Méditerranée sera la
zone la plus affectée par les pertes de précipitations. Les bassins
côtiers du Languedoc-Roussillon recevraient 60 % de pluies en moins
l’été en 2080 avec des déficits majeurs jusqu’à - 80 % sur l’Agly,
l’Aude, la Têt ou le Tech (Aude et Pyrénées-Orientales).
Des sécheresses
plus intenses, plus longues et plus fréquentes sont attendues partout.
Pour les pluies d’automne et d’hiver, les modèles scientifiques ne
s’accordent pas sur l’évolution à la baisse ou à l’augmentation,
néanmoins, en bilan sur l’année, les apports d’eau seront plus faibles
et plus incertains. Facteur aggravant, l’évapotranspiration
s’accroissant, elle avancera en saison les manques d’eau en agriculture
et les accentuera par assèchement des sols. À l’échelle du bassin
Rhône-Méditerranée et Corse, les scientifiques situent la montée des
températures en moyenne annuelle entre 1 et 2 °C d’ici 2030 puis de 3 à 6
°C à l’horizon 2080. Plus précisément, sur les bassins côtiers les
scénarios optimistes annoncent + 3 °C d’augmentation moyenne d’ici 2080.
Une pointe à + 10 °C au mois d’août est même envisagée. Les aquifères
littoraux, affectés par une baisse de la recharge, pourraient être aussi
menacés de salinisation due à l’élévation du niveau de la mer. En
effet, il est vraisemblable que la Méditerranée montera sans qu’il soit
encore possible préciser de quelle hauteur.
Les poissons d’eau douce et
d’eau de mer seront fortement perturbés. En trente ans, les eaux du
Rhône se sont déjà réchauffées de 2 °C à son embouchure en été. Seules
les cours d’eau comme l’Isère, l’Arve ou le Rhône amont pourraient être
moins touchés du fait de l’influence des glaciers, tant qu’ils fondent.
Les aires de répartition des poissons vont se déplacer vers le nord et
en altitude. La truite fario et le chabot, notamment, verraient leur
aire régresser sévèrement. La Méditerranée pourrait se réchauffer de 3
°C d’ici 2080 et s’acidifiera (pH tombant de 8,1 actuellement à 7,7 en
2100 par dilution de CO2, ce qui représente une menace pour le calcaire
des coquilles). Sur 75 espèces de poissons endémiques, 50 verraient
leurs habitats fragmentés ou réduits et 14 disparaitront probablement.
Enfin, le littoral languedocien connaîtra des risques d’érosion et de
submersion encore accrus. Ces données impressionnantes par leur
rapidité font sentir la vulnérabilité de nos activités actuelles de
sports d’hiver de moyenne montagne, de refroidissement industriel sur le
cours du Rhône (nucléaire), d’agriculture, d’approvisionnement en eau
potable et bien sûr de survie des milieux aquatiques, si rien n’est
fait.
Un plan d’adaptation – Ces travaux s’inscrivent
dans le cadre d’un futur plan de bassin d’adaptation au changement
climatique que l’agence de l’eau pilote, avec l’État et les cinq
conseils régionaux de la zone, et qui sera finalisé mi-2013. Le présent
rapport scientifique est soumis à consultation scientifique pendant un
mois. En particulier, un comité scientifique spécial est réuni par
l’agence de l’eau. Placé sous la présidence de Hervé Le Treut, directeur
de l’Institut Pierre-Simon Laplace, il donnera son avis sur ces
conclusions et formulera des recommandations pour guider les
gestionnaires dans la mise en place de mesures d’adaptation à la hauteur
de l’enjeu.
Fin 2012, le plan présentera quatre cartes de
vulnérabilités identifiant les zones les plus sensibles pour
l’agriculture (vigne, tournesol au sud, maïs, etc.), la ressource en
eau, les activités liées à la neige et la biodiversité. Elles croiseront
les données de fragilités déjà perceptibles dans nos territoires et les
évolutions climatiques estimées. Enfin le plan comprendra des mesures
d’adaptation pour les bassins des principaux cours d’eau et servira de
module réplicable dans tous les plans régionaux en cours de préparation
(SRCAE, SRCE, SRADT, etc.).
Ce plan est placé sous la responsabilité
d’un comité directeur comptant le président du comité de bassin
Rhône-Méditerranée, le préfet coordonnateur de bassin et les cinq
présidents de conseils régionaux (Provence-Alpes-Côte d’Azur,
Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes, Franche-Comté, Bourgogne). L’agence
de l’eau appelle à une forte implication des élus, avec l’État, pour ce
travail de réinvention de l’avenir de l’agriculture, du tourisme, de
l’urbanisation, de l’énergie et des milieux aquatiques.
Bilan des connaissances, version de consultation, septembre 2012
Agence de l’eau Rhône Méditerranée & Corse